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Sophie ka

Recouvrements, palimpsestes et transformations,


Suivre Sophie Ka dans ses détours plastiques et iconographiques c’est prendre une voie silencieuse qui mène à ce que les religieux appelleraient : l’élévation.

Il y a cependant, au cours des âges, celle de sa peinture, des mutations notables.

La genèse
premières séries :
De la profondeur obscure émerge la lumière. Le noir, faut-il le dire, se fait lumière, justement là où elle n’est pas attendue. Entraînés dans la couleur : l’autre, nous, le grand autre peut-être, nous progressons par fissure, au centre ou sur les rebords. Très vite nous sommes placés au-delà de la toile, au-delà des mots, par-delà les pigments et les formes.
Si les uns s’attardent aux apparences pour détecter par effet de miroir ce qui pourrait ressembler à quelque objet connu d’eux, les autres se laissent porter, sans influences, sans désirs, sans exigences. Ils sont dans la contemplation.
Je suis de ceux-ci.


L’entrée en matière, au sens premier du terme porte à d’autres effets. Un œil perspicace, que le détail intéresse, détectera une manière de faire. L’épaisseur des toiles vous la fait contourner, regarder la tranche, parfois le revers. L’orange et le jaune y sont le terreau de la  création, au commencement était la lumière ; celle dont le noir est composé. On perçoit alors une pulsion à recouvrir  ces rais de lumière pour la faire émerger, incisive, linéaire ou fractionnée à travers les alluvions fertiles d’un fleuve inconnu. Le noir n’est-il pas, dans l’Egypte antique la couleur même de la vie…. Par sa technique du recouvrement, Sophie Ka se fait un peu démiurge et oblige le spectateur à voyager dans ce processus aristotélicien qu’est la poïétique.
La technicité comme l’impression floue vous transportent donc aux mêmes confins : ceux de l’ailleurs en soi et des horizons insaisissables du monde.
L’achevé et l’inachevé s’exposent dans ces carrés de toutes tailles comme s’exposaient dans un carré céleste les messages transmis par les dieux aux hommes de l’Etrurie antique.  


Les carrés suivants….
Retour à la surface. Les effets sont décoratifs, la couleur et les aplats s’agencent avec un besoin apparent, celui de s’accorder à un espace environnant, de se ranger parmi les meubles, de se fondre dans un décors en le complétant. L’extériorité vient se substituer à l’échappée profonde de la genèse. Le quotidien prend le dessus, la mode peut-être ou une manière de dire son souci de plaire à ceux qui n’auraient pas suivi la voie de l’intériorité….


Dernières moutures….
La couleur prend place, le limon des paysages nilotiques épouse d’autres tournures. La clarté, et non pas la lumière, est sur la toile. La transparence des noirs, en effet, a disparu de l’univers de Sophie Ka. Le travail du peintre s’élabore en reprise, en repentir ou en palimpsestes ici, plus encore que dans les premières toiles. L’effacement prend le sens de la reconstruction permanente jusqu’à ce que la toile soit tolérée par son auteur. L’ouvrage se décrypte : l’outil, la main, le pinceau pétrissent la matière. Les tranches des toiles mettent en évidence cet inlassable travail dont nul ne saura s’il se réalise dans la lenteur ou la promptitude.
La vitalité devient l’essence de l’œuvre.


Quant aux tout petits formats, ils n’échappent pas à la monumentalité, comme toute miniature. Les noirs y sont ici obstructifs, ils désignent l’emballage du support : les coulures zébrées des profils courts de ces objets, accrochent l’œil, elles obligent à  saisir l’espace dans son épaisseur ; ces sujets réduits, agencés, juxtaposés, alignés, expriment une vibration qui les apparente aux travaux de Vasarely. Une  voie ouverte sur  la multitude et l’accumulation : à explorer ?


C-L W.

« Lorsque je contemple une œuvre d’art je la regarde, je l’observe parce que je la trouve belle. Détourner son regard sur un objet c’est déjà l’élire. Lorsque je regarde cet objet je ressens une émotion. Je m’y retrouve, je m’y reconnais comme dans un miroir. Cette reconnaissance n’est pour moi pas consciente et encore moins analysée. Selon moi, une œuvre est faite pour plaire ou choquer. »


Si vous voulez comprendre une œuvre de Sofieka, ne demandez surtout pas à son auteure de vous l’expliquer. Elle en serait bien incapable… Elle-même se refusant à toute analyse dans le regard qu’elle porte aux productions des autres.
Sa peinture ne contient aucun message, si ce n’est qu’elle laisse s’y exprimer son inconscient dans la plus grande liberté, sans retenue et avec toute l’indécence qu’une telle démarche implique.

Ses toiles sont le résultat d’une suite de recouvrements passionnels, parfois subits et définitifs, la plupart du temps soumis à d’éternelles revisites ; fruits de l’insatisfaction endémique qui caractérise la belle alsacienne.

Si sa peinture vous semble noire, il vous suffit de retourner les toiles pour y découvrir un foisonnement de couleurs qui viennent trahir l’alchimie qui a bercé leurs origines : un patchwork, la plupart du temps, d’auréoles de couleurs chaudes, jetées et versées çà et là, au gré d’une humeur sauvage et exempte de but. Même les nombreux remaniements qui font suite à cette éruption chromatique et qui, presque invariablement en viennent à recouvrir l’ensemble de noir, ne sont que le fruit de l’explosion inconsciente d’une histoire vulcaniquement jetée à plat, par couches successives et soulagiennes – son maître à penser –, dans une « poïetique du recouvrement », ainsi qu’elle l’a elle-même théorisé dans l’un de ses écrits universitaires.

Le meilleur hommage à réserver à sa peinture ? Se planter devant ses toiles, silencieux, et n’avoir pour seul discours qu’un lapidaire « J’aime ! » ou « J’aime pas ! ». Ne travaillant que sous l’emprise de ses émotions, elle n’attend de chacun qu’une réaction elle-même impulsive, sans discours ni ratio.

Ce n’est que dans le regard de chacun que son œuvre devient art ou ne devient pas…

 

S. B.

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